La peur n’exclut pas le danger

La peur n’exclut pas le danger. Il s’agit là de l’un de mes mantras. Si on analyse plus précisément cette maxime, on peut toutefois la considérer comme paradoxale. Le rôle primitif de l’émotion de peur est de nous préserver d’un danger qui pourrait survenir. Comme vous le verrez au fil de mes articles, je base beaucoup mes réflexions personnelles sur le passé « archaïque » du cerveau humain que nous voudrions considérer comme révolu, mais qui selon moi guide encore beaucoup de nos actes. Il ne s’agit ici que de réflexions personnelles que je partage avec vous et non d’affirmations scientifiques, même si, en effectuant des recherches, il y aurait fort à parier que quelques travaux universitaires se sont penchés sur la question. Revenons à nos moutons, ou plutôt à notre tigre à dents de sabre. Lorsqu’Homo Sapiens était encore aux prises avec la nature, que les supermarchés n’existaient pas, ni les stades pour s’affronter dans des compétitions sportives, entendre un rugissement à quelques encablures du lieu où il bivouaquait provoquait de la peur chez notre ancêtre. Une alarme déclenchée par le cerveau pour geler notre avancée, voire nous faire reculer pour nous éviter de nous jeter dans la gueule du loup (ou du tigre en l’occurrence). Dans ce cas de figure, si la peur n’exclut pas le danger (la présence du tigre à dents de sabres), elle nous empêche de partir au casse pipe et nous sauve la vie en nous tenant éloigné du danger.

La petite subtilité est que la peur a certainement été construite, dans le courant de l’évolution humaine, pour nous éviter de périr, mais que nous la ressentons souvent dans des situations où notre vie n’est pas en jeu. Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus sûr, le cerveau se heurte à des problématiques nouvelles qu’il traite comme il le peut. Eh oui, à l’échelle de la vie sur terre, tout ce que nous vivons aujourd’hui de nouveauté, de modernité, est un choc pour le cerveau humain qui, hier donc, était encore en train de se battre dans la steppe pour nous permettre de vivre. Comment peut-il gérer pour nous apporter ce qui est bon pour nous lorsqu’il se retrouve face à un stade plein et hostile lors d’un déplacement ? Ou face à un temps que l’on apprécie par vraiment au départ d’une grande étape de montagne du Tour de France ? Y-a-t-il un danger imminent à éviter ? Faut-il lever le pied ? Ne pas y aller ? Pourtant, quand on est sportif de haut niveau, pas le choix, il faut y aller. Alors, on y va avec ce sentiment diffus d’inquiétude, de malaise. Le terrain n’est plus vraiment propice à la performance. Cela peut aussi s’appliquer à tout un chacun face à un objectif à atteindre mais qui nous inquiète pour x ou y raison. On y va donc, mais à moitié. Ainsi on accorde la plus haute importance (de manière inconsciente) à cette peur puisqu’elle doit être présente pour nous sauvegarder du péril. La déception n’est pas loin. On passe un mauvais moment dans le présent, on passe un mauvais moment ensuite puisque la performance n’est pas à la hauteur de nos attentes, ou parce que nous avons pris une décision qui s’avèrera mauvaise pour nous, et on se construit donc un passé qui pourra nous handicaper par la suite (voir l’article sur la concordance des temps).

Pourtant, c’est là qu’il faudrait dégainer cette pensée : la peur n’exclut pas le danger. Dans 99% des cas (à la louche), il n’y a pas de danger de blessure gravissime et encore moins de mort à l’horizon. Juste des conséquences qui ne seront pas irréversibles et sur lesquelles on pourra travailler d’une façon ou d’une autre. Que l’ont ait peur ou non, il est possible de rater son match. Que l’on ait peur ou non, il est possible de se blesser. Que l’on ait peur ou non, il est possible que l’adversaire soit plus fort. Et au contraire, avoir peur met dans les meilleures dispositions pour toucher du doigt ce que l’on veut absolument éviter. Il serait donc intéressant d’intégrer cette idée que quoiqu’il arrive, la peur n’évitera aucun évènement mais pourra au contraire le favoriser en nous mettant dans un état de stress et de tension délétère. Tous les éléments sont imbriqués (peur, stress, échec, gestion des objectifs) et travailler avec un préparateur mental peut aider à franchir un cap. Mais en attendant, commencer par comprendre que c’est plutôt la peur qui provoquera le danger aujourd’hui, dans une situation où la vie n’est pas en jeu. Enfin, et c’est un élément qui me semble essentiel : accepter d’avoir peur. Ne pas se mentir. Tenir un discours déculpabilisant envers soi-même : « ok, j’ai très peur aujourd’hui. J’ai le droit. Je mobilise ce que j’ai appris avec mon préparateur mental, je me calme. Il n’y a pas de danger, je me concentre sur ce que je peux maîtriser moi. » Ainsi, peut-être y-a-t-il une possibilité de voir la peur sous un autre angle, et en l’acceptant, d’en faire un outil puissant de sérénité pour performer. À suivre…